Retour au bureau ? Fin du télétravail ?

Ce sont encore des titres tapageurs inspirés par les déclarations de quelques géants des affaires. Évitons de prendre tout cela au sérieux, même s'il y a quelques leçons à en tirer.

Fin du télétravail retour au bureau
Photo : christopher lemercier / Unsplash

Après avoir mis à mal les faiseurs de buzz qui agitent le spectre d'une possible fin du coworking, je réagis maintenant à d'autres messages racoleurs qui fleurissent régulièrement dans le paysage informationnel. Je parle des titres qui évoquent la fin du télétravail et semblent annoncer un mouvement massif de retour au bureau.

Alors, faut-il y croire ? Est-ce plus sérieux ? Pas sûr... Mais en tout cas, il y a beaucoup à dire à ce sujet.

Retour au bureau en 3 lettres

RTO ! C'est clair ?

En général, quand les médias sortent un "papier" titrant sur la fin du télétravail, cela vient d'un gros papillon qui a battu de l'aile de l'autre côté de l'Atlantique.

Ce gros papillon, c'est tour à tour Amazon, Meta (maison-mère de Facebook, Instagram, etc.), Google, Apple... Comble de l'ironie, il s'agit même parfois de compagnies qui doivent presque tout au télétravail comme Zoom.

Ces gros papillons sont souvent avares de paroles inutiles, mais les médias anglo-saxons trouvent encore le moyen de résumer leurs messages, en trois lettres : RTO. Avec un peu de chance, on trouve un peu plus loin le décodage en trois mots : return to office.

En français, la traduction est aussi claire et nette : retour au bureau. Certains utilisent aussi le sigle RAB. Mais bon, parler simultanément de RAB et de télétravail est sujet à quiproquo, car on pourrait penser par exemple :

  • (façon naïf) qu'il y aura distribution du rab pour les télétravailleurs ;
  • ou (façon martien, vous comprendrez vite pourquoi) que télétravailler c'est faire du rab...

RTO, pas si net...

Le message RTO paraît clair... Mais en réalité, le plus souvent, il n'est pas très net.

D'abord, ce que les titres racoleurs cachent et que l'on ne découvre qu'en creusant un peu l'information (si elle a été bien reprise), c'est que derrière l'annonce du RTO, le gros papillon n'ordonne généralement pas la fin du télétravail.

Non, car pour la plupart de ces géants américains, le retour au bureau est partiel : 2 ou 3 jours par semaine par exemple. Il y donc bien régulation, limitation, mais pas d'extinction du télétravail.

Il y a une exception notable. C'est un papillon martien (ou qui prétend le devenir). Il s'appelle Elon Musk. Pour lui, c'est net. Le retour au bureau, c'est 40 heures par semaine. Rien de moins !

Interdit-il pour autant le télétravail ? Noooon, pas du tout !

Dans sa grande bonté, Elon Musk laisse à chacun de ses collaborateurs le droit de télétravailler, en heures supplémentaires, au-delà des 40 heures en présentiel. Pour lui, télétravailler est bien synonyme de "faire du rab". Et bien sûr, ces heures supplémentaires effectuées en distanciel ne sont pas rémunérées, nous l'avons bien compris...

RAB : pas de ça chez nous !

Oublions maintenant le RTO à l'américaine. Qu'en est-il du RAB en France ?

Eh bien, il faut bien le reconnaître, les entreprises françaises ne font pas de grandes déclarations sur le retour au bureau et encore moins sur la fin du télétravail. Pourquoi ?

La première explication tient au fait qu'en France, après chaque période de strict confinement, les salariés sont très vite retournés au bureau, ne serait-ce qu'un jour par semaine.

Nous avons donc très vite parlé de travail hybride. Tout y est question de dosage, entre présentiel et distanciel, entre bureau et télétravail. Mais pas question de décréter un franc retour au bureau.

Et nous en arrivons ainsi à l'autre raison pour laquelle la fin du télétravail n'est pas d'actualité en France. C'est tout simplement parce que, en alternance avec le travail sur site, le télétravail est installé dans le quotidien des salariés comme des entreprises. Et tout le monde sait qu'il ne disparaîtra pas.

En quelque sorte, la faim de télétravail interdit la fin du télétravail.

Fin du télétravail : non, mais...

Résumons donc en trois fois trois lettres :

  • RTO : le retour au bureau à l'américaine est une réalité, en 2023, consistant à la mise en place du travail hybride, finalement pas très différent de celui que nous connaissons bien en France, avec un certain dosage entre jours de télétravail et jours de travail sur site ;
  • RAB : le retour au bureau, en France, c'est déjà de l'histoire ancienne, dès 2021 voire 2020, entre chaque période de confinement ;
  • NON : le retour au bureau est partiel, donc non, il ne signifie pas la fin du télétravail... même si le télétravail tel que pratiqué actuellement n'est pas toujours satisfaisant.
Fin du télétravail, retour à la raison
Photo : The Creativv / Unsplash

Retour à la raison, pour un télétravail dépassionné

Les salariés sont revenus au bureau, mais le télétravail n'est pas fini. Le retour au bureau ne signifie pas la fin du télétravail.

Revenons maintenant à la raison. Oublions les raccourcis racoleurs. Et oublions aussi quelques mythes concernant le télétravail.

Le mythe du 0 % télétravail

Certaines entreprises croient encore au 0 % télétravail. Cette croyance est une illusion.

Si l'on exclut les professions libérales et certaines très petites entreprises (TPE), notamment dans le commerce (physique), l’agriculture, le bâtiment et l’industrie, dans toutes les entreprises, il y a forcément une partie des emplois dont une partie des activités sont télétravaillables.

Certains salariés de ces entreprises peuvent donc pratiquer le télétravail, ne serait-ce qu’un jour par semaine, ou même de manière plus occasionnelle. Et s'ils le peuvent mais ne le font pas encore, ils finiront par le faire, parce que le télétravail apparaîtra comme une solution dans un certain contexte.

Le mythe du 100 % télétravail

Je ne crois pas au 0 % télétravail. Et je ne crois pas non plus au 100 % télétravail, souvent nommé "full remote", en tout cas pas pour les salariés des entreprises.

Oui, dans les métiers du numérique, un freelance peut parfaitement travailler entièrement à distance de ses clients. Mais ça n'est pas la même chose.

Certes, l'entreprise n'est pas forcément un lieu. Mais c'est un collectif. Il faut un minimum de temps d'échanges en présentiel pour entretenir l'esprit d'équipe, la culture d'entreprise et tout simplement pour véritablement connaître ses collègues.

Pour fonctionner sur le long terme, la collaboration à distance a besoin de quelques moments de contact dans la réalité réelle. Périodiquement, ou ne serait-ce qu’occasionnellement, lorsqu'elle fait le choix du "remote first", l’entreprise doit organiser ces séquences en présentiel.

Quel télétravail ?

En réalité, il n'y a pas un télétravail. Soyons donc prudents, lorsque nous parlons ou entendons parler du télétravail. Car le télétravail est en fait un concept dont chacun a tendance à avoir sa propre vision, différente de celle des autres.

Le télétravail se décline en réalité en de nombreuses modalités. Le télétravail à domicile (ou domotravail) en est une parmi d'autres. Le proxitravail, télétravail dans un lieu dédié à proximité du domicile du salarié, en est une autre.

Chaque modalité de télétravail constitue une réponse à des contextes et objectifs divers, parfois même opposés. Or, l'entreprise n'est-elle pas un lieu ou plutôt une organisation de mise en commun ?

Alors, il faut selon moi cesser de débattre, de s'ébattre ou de se battre sur :

  • la fin du télétravail, feinte ou supposée ;
  • le fait qu'il faut en finir avec le télétravail, ou pas ;
  • le fait qu'il faut plus ou moins de télétravail (un peu, 1 jour par semaine, beaucoup, 3 jours par semaine, passionnément, 4 jours par semaine ou remote first, à la folie, full remote...).

Plutôt que de se perdre en conjectures sur le "oui ou non" et le "combien", il est bon de se poser les questions suivantes à propos du télétravail : quoi, qui, pour quoi, où, quand, comment ?

Ces questions peuvent être prises sous l'angle individuel, du point de vue de chaque salarié et de chaque employeur.

Il convient aussi d'en débattre collectivement, dans les entreprises, dans les organisations syndicales et patronales, mais aussi dans nos territoires, nos bassins d'emploi et nos bassins de vie.

Je reviendrai dans un autre article sur les bonnes questions à se poser au sujet du télétravail.

Conclusion : de la fin du télétravail aux fins du télétravail

Il n'y a sans doute aucun intérêt à parler de la fin du télétravail, autre que celui de faire le buzz (comme ceux qui parlent de la fin du coworking).

Personne n'a jamais cru que le 100 % télétravail ou full remote allait survivre à la grande pandémie qui l'a mis sous les projecteurs. Le 100 % télétravail est déjà fini, alors n'en parlons plus.

Personne ne peut croire non plus au 0 % télétravail. La grande pandémie a aussi été l'occasion d'expérimenter le télétravail à grande échelle. Cette expérience a démontré que le télétravail fonctionne, qu'il a de nombreux avantages. Et c'est pourquoi la fin du télétravail n'arrivera pas.

Peut-être qu'il y a d'autres raisons à agiter le spectre de la fin du télétravail, au-delà de l'effet de buzz. Peut-être que certains en rêvent encore, pour de mauvaises raisons : paresse (solution de facilité), avarice (intérêts particuliers) ou que sais-je encore...

Je ne vise personne, bien sûr. Quoique puissent peut-être en penser certains managers réfractaires au changement et certaines organisations ultra-dépendantes à de l'immobilier de bureau non diversifié...

Gardons les pieds sur terre. Ne perdons plus notre temps avec l'imaginaire fin du télétravail. À toutes fins utiles, concentrons-nous plutôt sur les modalités du télétravail, et particulièrement sur le proxitravail, pour en partager collectivement le plus grand nombre d'avantages et en réduire les inconvénients et les limites.